Propos recueillis par Jens Emil Sennewald (critique d’art) pour Roven, revue critique sur le dessin contemporain. (paru en mars 2011).
…explicitement l'inscription du travail dans le temps, de souligner la valeur existentielle du faire de l'image. Plus largement, cette longueur est un moyen, un stratagème. Le travail excessif du détail me fait perdre l'ensemble d'une composition. Et c'est un moyen comme un autre pour dépasser le contrôle que j'exerce malgré moi sur une forme.
Me jouer de ma propre volonté. Une forme commence à m'intéresser lorsqu'elle me frappe. Et elle me frappe parce qu'elle est étrangère, douée d'une vie propre. D'une logique qui est la sienne, non la mienne.
Autrement la seule chose que je vois, c'est moi-même en train de faire, de vouloir. La plupart du temps, face à une œuvre, je cherche un rapport direct à la forme. Pas à l'artiste ni à son intention. Lorsque je peux lire une œuvre, les faits, les gestes et les pensées du faiseur qui s'y montre, celui-ci prend toute sa place. Il écrase tout le mystère qui pourrait lui donner vie.
Entre le spectateur et mes dessins, avant tout autre construction, je cherche à ce qu'une relation puisse naître de leur intégrité réciproque.
Si une œuvre ne s'émancipe pas de l'artiste elle ne m'est qu'un valet transmetteur de message. Un outil bavard. C'est pourquoi, si le désir et l'intention reste nécessaires à l'impulsion du faire, tout mon travail s'emploie ensuite à déjouer la conscience que j'en ai, et la volonté qui s'y exerce de manière trop centrale.
Créer des stratagèmes de l'oubli, tel que la longueur. Il existe une infinité de ces procédés.
Les techniques excessivement laborieuses que j'ai pu essayer, tels les grands formats hachurés, demandent une abnégation dont je ne suis pas toujours capable. J'ai alors varié les formats et les techniques de manière à trouver la plus grande spontanéité possible. Le crayon permet par exemple plus d'aisance que les hachures à la plume, et de dessiner très rapidement, sans me laisser trop le temps de penser. Ces derniers mois, je travaille en échelonnant les dessins.
Dans un premier temps, j'extirpe des formes d'une bande dessinée, en disloquant la structure figurative des images. Je les combine dans un grand chaos de formes illisibles. Puis je m'en sers comme d'une matrice pour un second dessin.
J'isole quelques-unes des formes imprévisibles nées de ce chaos pour les recombiner dans une composition construite. Le travail s'étale comme sur deux «générations» de dessins.
J. E. S. : Est-ce pour te libérer des fils qui te déterminent en tant qu'artiste ou est-ce plutôt pour donner libre cours à ce qui nous dirige inconsciemment ?
T. D. : Ce que je cherche c'est l'autorité de l'œuvre elle même. Contre celle des intentions, contre celle des discours philosophiques de comptoirs, et surtout contre celle du